Pour ceux qui n'ont pas de page Facebook, qui n'ont pas le temps ou qui ont la flemme de traduire la publication de Marco Pellitteri concernant sa critique de l'exposition italienne récemment dévoilée (images suivent), je vous mets ici la traduction que j'en ai faite :
"C’est peut-être une bonne chose que je ne sois pas allé au festival Lucca cette année, ou peut-être pas : j’ai vu et lu des bourdes involontaires mais énormes faites au sujet de la série "Ufo Robo Grendizer" dans l'exposition organisée par Yamato Video et dans certaines conférences.
1) Ce n'est pas "Robot" mais "Robo" : en japonais, il existe une différence sémantique, historico-linguistique et stratégique au niveau commercial et stylistique entre "Robotto" (Ndlt : la prononciation, écrite Robot) et "Robo".
2) La série animée de Tōei de 1975-77 est le résultat du travail de l'une des équipes de création de ce grand studio d'animation. Un groupe créatif d'employés et de collaborateurs appelé "Sākuru ban" (qui signifie grosso modo "Cercle de la Soucoupe volante") qui, entre 1974 et 1975, sensible à une mode / manie du moment, réalisa d'abord une sorte de documentaire sur des soucoupes volantes puis une "tragédie spatiale" basée sur des soucoupes volantes et une tonalité pseudo Shakespearienne :" Uchū enban daisensō "("La grande guerre des soucoupes de l'espace").
Le succès de ce film a été tel qu'il a poussé le studio à mettre en production une ambitieuse série animée basée sur l'intrigue de ce moyen métrage, développant les concepts de tragédie spatiale et de space opera, en particulier les thèmes romantiques et philosophico-politiques, liés en filigrane à la position du Japon sur l'échiquier géopolitique asiatique, aux relations étroites avec les États-Unis et au traumatisme des survivants des guerres (j'en parle dans plusieurs de mes travaux, j'indique les sources au bas de mon message).
3) Dans tout cela, Gō Nagai a été appelé "à l'aide", à la fois pour le film de moyen métrage et pour la série. Ni l'un ni l'autre ne sont jamais ses seules idées personnelles, mais il y imprime de diverses manières sa marque, à la demande expresse de Tōei (Ndlt : et Popy) : une partie de la conception de la machine volante et son nom (en fait, il s'agit pour l'un et l’autre, d'informations provenant de Dynamic - en particulier de Ken Ishikawa - studio de production de manga et de merchandising de Nagai), ainsi que les noms et quelques éléments de base (Ndlt : du design) de certains personnages, étayés par des références à des mythes (Ndlt : entre autres) nordiques (Duke Fleed, par exemple est la translittération de Zyukfuriido alias Siegfried...), le mécanisme et les modalités de connexion et d'imbrication de la machine anthropomorphe Dizer à l’intérieur de la soucoupe Spazer (idée originale venue de Dan Kobayashi de Tōei mais que Tōei n’avait pas réussi à rendre mécaniquement attrayant, laissant Popy, la maison d'édition de jouets, déçue, alors qu'elle concluait des contrats avec Tōei pour l'exploitation commerciale des figurines et autres jouets basés sur les séries de science-fiction des studios d'animation, dont Tôei).
4) En bref, Nagai n'est pas "le père" de Grendizer mais un parrain, tout au plus, si nous voulons utiliser la métaphore parentale. Tout le développement graphique et surtout narratif et psychologique de la série animée est le résultat de la sensibilité des créateurs de Tōei : les scénaristes, dirigés par Shōzō Uehara ; les artistes, dirigés par Tadanao Tsuji; les réalisateurs, coordonnés par Tomoharu Katsumata; la production dans son ensemble, coordonnée par Tōshio Ketsuta. Le "Sākuru ban" a travaillé en utilisant les indications de Nagai, mais en orientant tout l’appareil thématique et symbolique de la série dans des directions à peine esquissées par Dynamic ou alors tout à fait originales. Nagai conserve des droits moraux et d’exploitation de Grendizer, mais ses idées sur les "super robots" sont assez différentes de la sensibilité de ce groupe d’auteurs de Tōei, ainsi que d’autres équipes de création (les principaux groupes travaillant sur des séries de science-fiction dans les années soixante-dix à Tōei étaient le Sākuru ban et un autre, qui s'étaient occupé d’autres séries, comme Mazinger Z, Great Mazinger, Kōtetsu Jeeg ...). En témoignent les nombreuses versions manga de Grendizer produites par Dynamic, qui renient - ou montrent une dystonie profonde par rapport à - l'univers dramatique et romantique de la série animée ; ils ressemblent à des versions dystopiques et alternatives de l'univers de Grendizer pourtant aimé par deux générations de téléspectateurs dans de nombreux pays, dont l'Italie, en tête.
5) La Yamato, sans aucun support documentaire, insiste sur le fait que la série a été amenée en France par Bruno-René Huchez et indique Huchez comme étant à la source de l’opération et Jacques Canestrier comme le bras droit exécutif pour la vente du dessin animé à la chaîne de télévision Antenne 2. Si la Yamato avait consulté ceux qui font des recherches sur ces sujets depuis des années, elle aurait pu éviter d'écrire ces âneries, ainsi que de nombreuses autres. Je suis désolé d’écrire ces "reproches" car la Yamato a réalisé et réalise encore un travail d’éditions et de vulgarisation des séries et des films d’animation japonais très méritant.
6) Une autre grosse erreur basée sur une impossibilité totale ou une incapacité à documenter sérieusement ce que j’ai remarqué dans l’exposition Yamato (et je ne sais combien de "fans" qui ne lisent pas pensent être bien informés, je ne comprends pas sur la base de quoi si ce n'est sur les ouï-dire classiques et trompeurs et sur les nombreuses mystifications qui circulent sur les petits groupes de Facebook) est l'outrage perpétré à l'encontre de Sergio Trinchero et Nicoletta Artom.
Selon l'exposition Yamato, Trinchero et Artom se seraient "attribué la propriété" de la série en la réadaptant et la bouleversant. C'est un mensonge la version italienne de la série est de loin la moins invasive en termes d'adaptation des dialogues et est presque complètement et correctement séquentielle par rapport à l'ordre d'origine des épisodes. Ceci est différent des adaptations française et américaine, qui se caractérisent par des interpolations parfois énormes (Ndlt : interpolation = extrait de texte introduit dans une œuvre à laquelle il n'appartient pas).
L'adaptation italienne est influencée par certains aspects de l'adaptation française (en cours d'achèvement lors de la réalisation de l'italienne) mais seulement pour certains noms de personnages ; pour le reste, l'adaptation italienne est une localisation respectueuse qui prend une licence justifiable. L'idée puriste de l '"original" concerne les fanatiques et les fondamentalistes dotés de peu de souplesse mentale et d'une compétence littéraire limitée. Sans l'intervention de Artom en faveur de Goldrake dans la presse, la série aurait peut-être été interrompue avant sa fin, comme le souhaitaient de nombreuses personnes à l'intérieur et à l'extérieur de la Rai, compte tenu des premières controverses qui avaient été avancées contre ce dessin animé.
7) Shunsuke Kikuchi n'a pas créé de nouvelle bande son pour l'édition française de dessins animés : autres informations trompeuses dans l'exposition Yamato. Les adaptateurs français ont été autorisés à utiliser les bases instrumentales des génériques de début et de fin composés par Kikuchi pour insérer le chant en français. (Ces mêmes bases instrumentales auraient été utilisées, sans être chantées et donc avec un effet final "bancal", pour l'édition américaine, mais avec un superbe chant en arabe pour l'adaptation réalisée au Liban et dans les autres pays voisins). La bande originale française diffère à plusieurs reprises de l'originale par la distribution de certains morceaux, comme l'écrit Florian Guilloux, universitaire français, dans quelques écrits récents. Mais il n’y a pas eu d’interpolation plus cohérente (au-delà des morceaux refaits avec le chant français).
8) Musique et chansons italiennes n'ont pas d'espace dans la série en dehors de la présence de trois chansons : "Ufo Robot", "Shooting Star", "Goldrake" (respectivement le générique initial et les deux génériques de fin). Les chansons des 33 tours italiens apparaissent en passant comme commentaires musicaux dans certaines scènes des trois films italiens “Goldrake all’attacco”, “Goldrake l’invincibile” et “Goldrake, addio”, qui remodèlent et localisent (de manière littéraire et filmiquement appréciables) certaines scènes du film japonais original, dans un processus de "domestication" et de "naturalisation" d'un produit étranger.
Enfin, le fait que le nom de Ares Tavolazzi soit absent des panneaux de l'exposition Yamato consacrée à la musique italienne indique clairement le travail bâclé dont cette initiative a souffert, au détriment de Goldrake, de son histoire et de ses fans.
EDIT :
sources:
• citons ici en premier lieu la nouvelle édition de mon livre "Mazinga Nostalgia" (2 vols, 1580 p., Tunué 2018), lecture que je considère comme obligatoire pour ceux qui se disent "experts" ou "fans" de Goldorak et de l'animation japonaise .
• Mais pour ceux qui souhaitent lire une documentation particulièrement axée sur les sources et l’approche sociologiques, je vous invite à lire un de mes articles du "Journal des études de cinéma et de médias italiens" (vol.7, n ° 1) sur l’arrivée de Goldorak en Italie.
Consultez le site Web du magazine "Journal of Italian Cinema and Media Studies"
Pour approfondir, au sens théorico-disciplinaire :
• M. Pellitteri - F. Giacomantonio, “Shooting Star”, Fondazione Mario Luzi 2016;
• M. Pellitteri, “Il Drago e la Saetta”, 700 pp., Tunué 2010.
• J. Wicky, “Gō Nagai, mangaka de légende”, Fantask 2017;
Autres sources, très utiles en termes d’information et de documentation générale, et d'une lecture très agréable:
• A. Montosi, “Ufo Robot Goldrake”, Coniglio 2007;
• Massimo Nicora, “C’era una volta Goldrake”, La Torre 2017.
Et enfin un article éclairé et torrentiel de Mario Verger:
• “… Continuavano a chiamarlo Atlas Ufo Robot”, https://www.rapportoconfidenziale.org/?p=41037.